A quelques jours seulement de l'ouverture, me voilà pris de crises d'angoisse.
Les cannes, soies, boîtes de mouches sont prêtes. Le sling pack est rangé, cela fait 25 fois maintenant que j'optimise le placement des outils et accessoires dans ses nombreuses poches.
La veste est propre, le waders sent la prairie fleurie. Même les verres de mes polarisantes ont été nettoyés, dégraissés. Le tout est rangé dans son sac, prêt à partir explorer du rêve.
Oui mais, insidieusement, une idée trouble est entrée dans ma tête, pour bientôt se transformer en cauchemar. Au départ, ça a été "tiens, ça fait un moment que j'ai plus sorti de soie". Puis je me suis mis à penser "merde, cette nouvelle soie, est-ce qu'elle passe bien sur la canne ?"
Direction le pré d'à côté pour une séance test, sous le regard interrogateur des promeneurs, sous les "ça mord ?" ironiques des petits vieux.
Bon, la soie passe bien, ça glisse tout seul.
N'empêche que ça s'est pas arrêté pour autant. Revoir, 10.000 fois, le poser. Sentir, 20.000 fois, la décharge d'une attaque dans le poignet. Imaginer, 30.000 fois, la sensation de la ligne qui se détend. "T'as ferré comme un âne, bourrique" !
Çà a fini que j'ai plus pu fermer l’œil de la nuit. Direction le toubib du village. Diagnostic, pronostic, traitement : "je ne peux rien pour toi mon pauvre, je te mets 2 jours de pêche avec un super pote". "Si ça va pas mieux, reviens, je te prolongerai". Alléluïa !
C'est à cause de tout ça que je me suis retrouvé, quelques heures de route plus tard, chez un de ces espèces de fondus qui pensent "pêche", vivent "pêche", respirent "pêche". Au programme : bla-bla comme deux vieilles commères, échanges de rêves, montage de mouches. Et pis, ça a dérapé, forcément le larron avait prévu une sortie. C'était la bonne occasion, justement le Domaine du Moulin Neuf allait clore sa saison de pêche à la mouche.
Pour la suite, difficile de vous proposer un récit cohérent. A peine sortis de l'auto, nous nous retrouvions coincés dans la 4ème dimension, la dimension du rêve. Je n'en ai plus que des bribes de souvenirs, la sensation douce d'avoir été, le temps de quelques heures, isolé du monde, dans une bulle.
Il me semble qu'au départ, on a un peu tourné en rond. Persuadés que les poissons allaient être de mauvaise humeur, je me revois nouer un bas de ligne arachnéen, essayer de trouver l’œillet d'un chiro minuscule (si je connaissais le c... qui a mis du vernis sur ce foutu truc). Puis, après une bonne casse des familles, je me souviens avoir "affiné" la stratégie, en nouant une pointe en 14.
Et là, mais là, mes amis.... Quel pied d'enfer !
Les (superbes) arcs du domaine, bien que natives de Lorraine, n'ont pas tenu rigueur de mes origines alsaciennes. Bonnes filles, elles sont venu voir sans crainte ce que voulait ce bonhomme à se perdre dans la jolie campagne Meurthe-et-Mosellane.
Le pied je vous dis ! Des touches brutales, de la grosse baston, des ratés au ferrage, de la soie qui file entre les doigts. Les poissons sont superbes, joueurs, bagarreurs, nombreux, puissants. Je nous revois faire, refaire et re-refaire, pendant une heure "un dernier lancer pour la route".
Merde, je sens que suis déjà en rémission. C'était pourtant pas si mal d'être en maladie.
3 jours à tenir. 3 dodos. Et on sera tous sauvés. Amen.
@ bientôt,
Gilles,