Vous n'avez jamais vu l'aube. La vraie. Pas celle du premier
train de banlieue.
Seul le pêcheur sait le goût exact du matin, le goût du pain
et celui du café de l'aurore. Il a, seul, ces privilèges exorbitants.
Né subtil, il n'en parle pas. Il garde tout cela pour lui.
C'est un secret entre le poisson et lui, l'herbe et lui, l'eau et lui.
Ce bonhomme ridicule, maniaque et grognon vit, dieu merci,
dans un autre monde que celui où l'on se paie sa tête, quitte à le remplir
d'inquiétude, ce monde louche, quant aux dates des consultations électorales.
Il est dans l'aube comme le poisson dans l'eau. Vous aurez beau vous lever tôt,
à la même heure que lui, vous n'entrerez jamais dans son matin, qui n'a pas la
dimension du vôtre. Vous n'êtes pas à plaindre. C'est bien fait pour vous. Vous
qui ne savez pas, et ne saurez jamais, pêcher la lune, n'espérez pas vous
introduire dans le jardin d'Alice. Quand bien même franchiriez-vous l'invisible
fil de fer barbelé qui le protège, vous n'y verriez goutte.
Que du bleu. Que du
feu.
Restez chez vous. Vous n'êtes pas du peuple élu, du peuple
des eaux et des roseaux.
René FALLET, Les Pieds dans l'eau.
Je sais, lecteur, que ces mots ne sont plus un scoop, que chaque blog de moucheux publie, une fois dans son existence, ces quelques lignes de Fallet. Alors pour moi, c'est fait.
Jamais je n'ai trouvé de mots plus justes pour décrire mes matins. Une incantation, un prêche. Mes matins que j'aime, préludes de journées où il est possible de toucher du bout du doigt, un fragment de liberté.
Belle journée à vous,
Gilles,