samedi 13 septembre 2014

Le temps des moissons

Brume fraîche du matin, odeur d'humus, de champignon. L'été est passé. 

Doucement, le calme se réinstalle, partout. 

Les chemins de randonnée : Wormsa, Sentier des roches, redeviennent eux-mêmes après avoir été foulés par des bus entiers de "randonneurs", ces touristes bigarrés, pressés, assoiffés de nature, avides d'en découdre avec un élément qu'ils ne fréquentent plus que rarement, virtuellement.

Les berges elles aussi sont abandonnées. Plus de baigneurs, plus de canoës. Plus "d'écrevisses" qui s'exposent au soleil à s'en brûler les neurones.

La vie suit son cours. D'abord timidement, puis enhardis, chevreuils, sangliers, castors ressortent de leurs caches, et se montrent le soir. L'agitation est passée. Ils sont à nouveau chez eux.


Finies les chaudes journées, les veillées en terrasse. Chacun prend conscience du fait que l'heure tourne. Il faut à présent se préparer à des jours calmes. 

Le rythme se ralentit et pourtant, une agitation se fait sentir dans les villages de la vallée. Le bois rentre, les pots à conserve ressortent des caves. 

C'est l'heure des moissons. 

Le potager, après tant de soins, livre le meilleur de ses fruits et légumes. Les bois regorgent de champignons. Délices du moment, on se hâte à créer conserves et bocaux, qui amèneront un rayon de soleil dans la monotonie des jours gris qui viendront, bientôt.

         
                                                            

Côté pêche, c'est la même. Au rythme effréné de l'été succède une période d'apaisement.

Les cris de joie des enfants capturant leurs premiers poissons, ne résonnent plus sur les berges. Les pauvres sont de retour sur les bancs d'une école où on leur apprend ce que la vie n'est pas. 


L'intimité des berges n'est plus troublée à présent que par le bruit feutré des semelles sur la mousse humide, le crissement des fougères sèches.

L'angoisse des niveaux d'eau, de l'activité des poissons en plein cagnard, s'estompe. Enfin les rivières ont retrouvé des niveaux décents. Des températures clémentes, juste assez frais pour déclencher de belles éclosions, sont comme une promesse de pêches "faciles".

Car pour les poissons aussi, c'est l'heure des moissons. Bien conscients de la saison qui avance, eux aussi engrangent un maximum avant des repas plus maigres.

Dans l'esprit du moucheur, le temps est compté. Plus que quelques jours avant la fin de la pêche en 1° catégorie. Vite, on moissonne un maximum d'images. Elles seront elles aussi autant de rayons de soleil dans les mois à venir.
























Pour le pêcheur d'ombres, la saison ne fait que commencer. Eclosions d'olives, de caenis. Retombées de fourmis. Derniers vols de sedges. Et enfin les grosses sulfures, voiliers jaunes qui frissonnent à la surface de l'eau.

Après des mois d'exercice, le lancer est sûr, précis. La dérive est parfaite. Le ferrage, appuyé mais mesuré. Le bras tremble de plaisir pendant que l'étendard, trompé par sa gourmandise, regagne le vif du courant. Le plaisir est à son comble.


En nymphe, en sèche. En noyée. Le temps des moissons, c'est la saison de tous les possibles. 

Peigner une veine sous la canne, et ressentir cet arrêt, percevoir un reflet sous la surface, un tremblement. 

Laisser dériver un train de Wickham's, Corixa, Black Penell et savoir le moment pile où une décharge électrisera l'avant-bras.


Respecter le timing d'un gobage bien installé. Présenter un petit voilier en CDC, voir le poisson monter, lentement. Il observe. Il hésite. Finalement il ouvre la gueule et, délicatement, picore l'imitation.


C'est alors chez le pêcheur, une symphonie de sensations, toujours les mêmes, ressenties pourtant toujours plus fort.


Bientôt le poisson sera "sien", l'espace d'un instant, magique. Sa nage sous l'eau, étendard déployé, est des plus gracieuses.


Le voilà qui vit dans la main. Le temps s'est arrêté sur ses couleurs parfaites. Ses lignes élancées, sa bouche fine : le moindre détail s'imprime définitivement dans la rétine du pêcheur heureux.

A bientôt beau Thymallus.


La vie continue. La saison des moissons ne fait que de commencer après tout. Au plus froid de l'hiver, des mots, des sensations, des images resurgiront. 

Comme autant de trésors, on s'en délectera avec gourmandise.

@ bientôt,

Gilles,