samedi 7 février 2015

Chat noir et Autoéclosion - part. 1/2

En ces temps de disette et de sombres actualités, il est bon de se remémorer les plaisir simples qui font la vraie vie.

Ces petits moment vécus au cours des derniers instants de pêche, juste avant que la trêve ne nous plonge dans une léthargie ouatée. 

Oh bien entendu, à force de se rappeler les bons moments, on fini par les embellir un peu. On oublie petit à petit les "plans foireux", les désillusions, les jours où "ça va pas comme on veut". On se dit que la saison prochaine, tout cela n'arrivera pas.

Et pourtant.

Laissez-moi vous présenter deux complices, deux compagnons de l'impossible, deux tartarins aussi barrés que moi. Avec ces deux, un simple appel téléphonique de quelques instants suffit pour monter une expédition aussi téméraire qu'improbable, dont nous sortirons forcément grands vainqueurs, l'appareil photo chargé de clichés de blocs gros comme ça.


Une belle de la Fecht, en Alsace

Avec ces deux au moins, je sais que la saison prochaine réservera des sorties scandaleusement foirées. 

On montera des centaines de mouches toutes plus appétissantes les unes que les autres.

On fera des kilomètres. 

On pêchera du mieux qu'on peut, mieux encore que sur les vidéos des cracks autoproclamés de Youtube. 

On pêchera jusqu'à plus soif. On fera pas un poisson. 

Je me prendrai une méchante tôle par ce camarade railleur qui profitera de l'aubaine pour me ressasser, les 10 prochaines années, comme je suis passé à côté.

On boira un café trop chaud, trop fort, à l'aube. 

On prendra l'eau. 

On se trempera jusqu'aux os. 

On crèvera de chaud sur un radier endormi au mois d'août. 

On se mentira en prétextant pêcher avec la même mouche que l'autre (alors qu'en fait, on aura noué un truc de fou ! Peut-être que je lui dirai un jour...). 

On ne s'aidera pas à épuiser un poisson. Parfois, on se dira même "merde, il a l'air beau celui-là, j'espère qu'il le décroche". 

Pêche de l'ombre... Une journée à "tôle"...
On frissonnera aux prémices du coup du soir. On sortira ensemble, repus, d'une folle soirée où des milliers, pardon des millions de sedges dragueront sur ce grand lisse de la Moselle.

Laissez-moi vous les présenter, donc : le premier s'appelle "Chat-Noir". Le bonhomme est sympa et souriant : assez pour dissimuler cette faculté à provoquer l'ire des dieux de la pêche, dès que nous sommes réunis.


Pêche en Alsace... avec le sourire !
J'aurais dû m'en douter, pourtant : la toute première fois qu'il est venu en guidage sur la Fecht, nous nous sommes pris une montée d'eau de plusieurs dizaines de centimètres, d'un coup d'un seul. 

Pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas (encore) cette petite rivière d'Alsace, notez que ce phénomène est tout bonnement : impossible en vallée de Munster. 

Point de barrage, point de turbine, pas plus de travaux en rivière. Point d'orage, pas la moindre goutte de pluie. Juste un coup d'eau, venu d'on ne sait où, comme ça. Pour faire ch...

Cela a duré suffisamment longtemps pour altérer le résultat de la pêche du jour, mais il s'en est tiré. Ma méfiance s'en est trouvé endormie...


Une petite fario de la Fecht


Pêche en nymphe...

Sur la Fecht à Munster...
Le bonhomme a ensuite poussé le vice, en commandant une journée de guidage un 1er janvier (j'ai écrit à la dixième ligne que les gus étaient barrés). Bon, forcément, à jouer avec le feu, des fois on se brûle. 

L'hiver sur le massif vosgien, c'est -10°C et/ou un délicieux mélange de neige et de pluie glacée qui fouette le visage, attaque les mains, pétrifie le moindre centimètre de peau laissé à nu.

Pour le coup, on a donc eu une belle journée vosgienne : un mélange subtil de froid, de froid, de froid, de cette foutue pluie solide qui troue les doigts. Et d'un petit vent frais.

Dès le départ au matin, on avait compris je crois, que ça allait pas être simple. Il faut dire que comme tout être normalement constitué, le préposé au dégagement des routes avait autre chose à faire le premier jour de l'année que de se balader sur des cols enneigés.


Col de la Schlucht, un 1er janvier...

Mais le gars s'en est pas mal tiré, alors ma méfiance s'est endormie...


Brochet à la mouche

Un joli brochet des Vosges
C'est depuis lors, je crois, que tout a basculé. Ce genre de conditions pourries, les effusions de joie à la prise d'un joli poisson, sont propices au scellement d'amitiés sincères.

De client sympa, Chat-Noir est devenu "ami". Et depuis, nous sommes liés par le serment des rêveurs, tous deux en quête perpétuelle d'un mieux, d'un plan-de-la-mort, de la poutre suprême, du brochet que même dans les rêves on se dit "nan, faut pas déconner là".

Sur le fond, ce n'est pas si mal que de rencontrer des tarés profonds, des gars qui pensent poisson à chaque minute de leur existence. J'avoue m'être senti moins seul, j'ai abandonné mes séances de psychanalyse (le toubib en avait marre de toutes façons de mes problèmes existentiels : une wf 9F ou une wf 9F/I ou une wf9S1 ? Une bille de 3, de 2.8 ou de 2.5 sur cette nymphe ? Si je prends le courant à l'envers, arriverais-je à pêcher proprement le bloc de la berge d'en face, que personne ne peut atteindre ?) .

Le problème, c'est que par une curieuse alchimie, dès que le bien nommé Chat-Noir pêche en même temps que votre serviteur : c'est le drame. Des rivières jusque là sages se mettent à déborder en tous sens. Des brochets affamés, assoiffés de sang, perdent appétit. Une météo clémente vire à la tempête sibérienne.

Ce n'est pourtant pas faute de préparer assidûment nos sorties. Car Chat-Noir et moi avons un point commun :



On adore quand un plan se déroule sans accroc. 

Préparer une sortie avec Chat-Noir, c'est rechercher l'efficience maximale. Préparer du fourbi, soigner le moindre détail de notre équipement d'aventurier des eaux troubles. 

Si nous nous étions rencontrés 10 ans plus tôt, nous aurions été incapables de payer les factures de téléphone qu'induisent des heures et des heures de masturbation cérébrale (remercions les fournisseurs d'accès pour leurs forfaits illimités) : "monte du petit, ils sont sur le fretin de l'année", "prend aussi du gros, là bas ils ne bouffent que des truites", "prends du qui descend, ça va pêcher creux"... 

Des heures de cogitation enfiévrée. Un inventaire à faire pâlir des aventuriers qui prépareraient l'exploration d'un territoire inconnu, où même le saucisson n'aurait pas été encore inventé.

Même pas peur !
Tout ça pour que dalle.

Parce que Chat-Noir et moi, dès qu'on pêche ensemble : on fait capot. Mais bien hein, on rate rien : on prend pas une tape, pas un suivi, on voit que dalle. Un CAPOT quoi.

On participe à un concours à la mouche ? Dès son arrivée, Chat-Noir tire au sort les postes les plus pourris du jour. Les autres concurrents nous en remercient encore. 

Pire, il se met à faire un temps caniculaire en plein mois de novembre.

Brochet à la mouche en Alsace
L'âme vengeresse, on se concocte une sortie dans le Nord de la France ? Aussitôt monté en voiture, des tombereaux de neige envahissent les routes. Un froid polaire vient geler nos streamers rutilants. Deux faux lancers, et voilà toutes les fibres collées.

Les artifices patiemment préparés prennent alors une nage de chien crevé et gelé : tout droit. 

Streamer à brochet : imitation de poisson surgelé
Jamais de ma vie, je n'ai eu si froid. Peut-être parce qu'on avait décidé de pêcher en float tube.




Bercés par nos illusions, nous n'avons pas pris gare au fait qu'il n'y avait, ce jour, que 2 tarés sur l'eau. Peut-être à cause de l'alerte orange lancée par la météo ?

Je ne vous dévoilerai pas l'issue de ce périple en terres givrées : vous vous en doutez sûrement.

Tout de suite, cela pêche moins bien...

Trois jours qu'il m'a fallu pour me réchauffer. Trois. A l'heure où j'écris, je ne suis pas sûr d'ailleurs que l'intérieur de mes os ait retrouvé une température normale, malgré une cure prolongée de carburant montagnard :

Séchage de streamers... et réchauffement du bonhomme...

Alors forcément ça râle comme il faut, ça couine, ça tire la gueule. 

Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? 

Faut-il être idiot pour se lancer dans des plans pareils ? Ou juste profondément inconscients ? Plus jamais, ça c'est sûr, on ne nous y reprendra pas.

Jusqu'à la prochaine fois en tout cas... Et il me tarde, mon Chat-Noir...

@ bientôt,

Gilles,